« …Le peintre a transformé la réalité en fiction… »

di Micha Venaille

d’après le Livre « Paysage », ottobre 2022

 …Le peintre a transformé la réalité en fiction en travaillant les harmonies de couleurs, le cadrage, on réalise une fois encore qu’on ne regarde jamais directement et simplement une peinture, c’est ce qu’elle nous apporte qui compte. Démonstration en direct : on voit bien mieux des arbres que Monet a peints en 1920 pour les panneaux des Nymphéas de l’Orangerie  

– même si ce ne sont que leurs reflets – 

que ceux qu’il a soigneusement reproduits en 1880 dans Les prés ou Les champs au printemps :

Lorsque la nature est la triomphatrice envahissante d’un tableau, notre regard est capté par l’image. Aucune présence humaine pour l’accompagner, il ne nous reste qu’à étudier les formes, l’arrangement des couleurs, peut-être nous perdre dans les arbres. Toutefois, face à des prés, des herbes, lorsqu’ils sont mis à notre disposition dans un tableau, nous ne nous sentons pas emprisonnés dans un lieu, pas de frontière, un espace qui nous laisse libres de rêver. Une autre vision des arbres tout de même, leur présence écrasante pour montrer qu’ils sont intimement liés à l’être humain, ceux de Berlinde de Bruyckere. Le corps de Saint Sébastien fait du tronc d’un orme mort, de la cire rouge et bleuâtre, blanche, sa palette de l’anatomie humaine. Métamorphose de l’homme en arbre ou de l’arbre en homme, force avec la présence du bois, et fragilité avec les boursouflures visibles des blessures et les pansements de cire laiteuse.

Lorsque Balthus est mort, sa femme, Setsuko Klossowska de Rola a écrit un texte intitulé : Balthus est un arbre. Un lien avec les arbres des sanctuaires shinto, qui ont plus de mille ans, symboles de l’éternité car les esprits sacrés y demeurent pour toujours. Elle en sculpte en terre-cuite.

Les personnages d’Emil Nolde nous entraînent très loin aussi, vers l’infini, ils sont debout, en marche, conscients de l’immensité du paysage.

Si on regarde un Watteau “vide” et un autre habité par un rêveur au bord de l’eau, même très discret, on prend conscience de la complexité et de la richesse de ce parcours mental. Car on a l’impression que cet homme nous fait entrer dans la toile et qu’on partage avec lui le contact avec l’univers. Et même si on a eu l’impression que l’inconnu magique et si solitaire de Caspar David Friedrich Caspar ne joue pas ce rôle de transmetteur, on change d’avis devant une oeuvre de lui sans aucune présence.

Le paysage intérieur, perceptible dans un tableau, est encore plus sans frontières. Ce mot a toujours habité les poèmes d’Alain Veinstein – s’enfoncer dans des forêts encore plus sombres – aujourd’hui il se sert d’un chevalet, ne le pose pas face à des iris mais il nous ouvre encore des portes,

comme Marc Blanchet, et là, dans une photo, mais tout change puisque c’est un poète qui l’a faite. On sait bien maintenant qu’une photo ne reproduit pas plus la réalité qu’un tableau.

En fait, la magie peut être à notre portée même lorsqu’on ne voit que des branches et des feuilles, dès que l’on pressent que l’artiste a souhaité mettre en image la complicité du mystère de la nature avec l’être humain et qu’il a réussi à nous la transmettre.

C’est le cas aussi de Maurizio Barberis – il connaît intimement les paysages car il a signé certaines œuvres du nom de Thoreau –. Il donne d’abord accès en direct au tableau, à sa réalité, puis au monde sensible, à l’au-delà. À l’unisson. Nous sommes emportés très loin mais pas dans l’inconnu, car en compagnie du tableau. Il a souhaité que le portrait du paysage, si on peut le dire ainsi, devienne le symbole du Soi. Et lorsqu’il expose son travail au Palazzo Salis de Soglio, où Rilke (1) a eu la révélation qu’il allait vivre seul pour toujours, on capte encore mieux la force intérieure du travail accompli sur ses photographies. Cette série s’appelle Winterreise, une invitation au voyage à laquelle on répond.

Ici et là les feuilles / Des arbres se colorent ; / Et souvent à les voir / Je demeure pensif. / J’en suis une des yeux,

Lui confie mon espoir ; / Mais le vent s’en joue-t-il, / Que j’en tremble et frissonne. / Et tombe-t-elle au sol,

Que mon espoir s’effondre : / Je m’écroule à mon tour / Et pleure sur ma tombe.

(Wilhelm Müller, Letzte Hoffnung, 1824, d’aprés Die Winterreise)

Rothko a dit : on ne doit pas regarder un tableau mais regarder à l’intérieur de soi. heureusement qu’il a retenu la leçon car il a peint, du temps où il signait encore Markuss Rothkowitz, des paysages qu’on aurait peut-être un peu de mal à introduire dans la famille de ses paysages intérieurs si on ne savait pas qui les avait peints. Quoique le tronc penché, peu réel, le sol, les lignes, la lumière bien distribuée…